Donc vous voulez que je vous parle d’Hayley. Non, j’ai l’habitude. Enfin, je devrais. On ne s’intéresse jamais qu’à ma sœur.
C’était une journée sinistre et pluvieuse d’octobre ; l’air sentait les feuilles mortes. Les tupélos noirs qui bordaient le terrain de hockey sur gazon avaient rougi, comme une piste d’empreintes de pas sanglantes laissée par un géant.
J’avais une interro de français et je devais prévoir une semaine de menus végans pour quatre personnes en cours de science de la consommation. Vers midi, Hayley m’a textée de Californie.
Je sèche les cours. Q et moi on roule vers le festival là !!!
Je l’ai ignorée. Elle adorait me taquiner avec les joies de la vie en fac. Je l’enviais, mais je refusais de lui donner la satisfaction de le montrer.
Dans l’après-midi, maman m’a textée.
Tu as des nouvelles d’Hayley ?
Non. La loi du silence, entre sœurs, c’était sacré. Son petit ami resterait un secret.
Si tu en as, appelle-moi de suite.
J’ai rangé mon phone. Elle était du genre surprotecteur.
Dès mon retour du hockey, j’ai compris qu’il y avait un loup. Dans l’allée était garée la voiture de ma mère qui ne sortait jamais si tôt du boulot.
La télé était allumée au sous-sol.
Maman la regardait, toute pâle. D’une voix étranglée, elle a dit : « La résidence universitaire m’a appelée. Hayley est partie à un festival de musique. Il y a eu une fusillade. »
Ken Liu
Pensées et prières