Le sorcier fou, revenu de l'enfer sain et sauf, frissonnait de peur ; il voyait un peu l'avenir et savait qu'Elric l'attaquerait. Alors il nomma la créature et elle s'éveilla. Bientôt elle goûterait l'appétissante saveur de l'âme humaine. La plainte du Géant du vent déchaîna le chaos sur toute la Terre, l'épée d'Elric se leva et s'abattit en hurlant un chant de mort. Partout les combattants luttaient, saignaient et mouraient. L'épée noire, échappant au prince albinos, prenait racine dans les chairs et gémissait de plaisir en lapant la substance des vivants.
Elric n'était pas responsable, il jouait son rôle ; il était le Porte-Epee.
Michael Moorcock naît à Londres le 18 décembre 1939, à temps pour voir les bombes allemandes rythmées sa petite enfance : de la vision du monde comme apocalypse lente sous l'obscure clarté de l'entropie. Son père, ingénieur, l'inscrit en vain dans des cours privés successifs : à quinze ans, il rompt avec l'entropie scolaire. Ce qui lui plaît c'est le rock : il est guitariste et chanteur dans plusieurs groupes, dont l'un part en Europe du Nord, où le feu des croisés brûle sur les paysages glacés. Il aime écrire, il publie son premier texte dans une fanzine, à douze ans ; à dix-huit ans il devient rédacteur en chef de Tarzan Adventures, un périodique pour la jeunesse. Nous sommes en 1957 à Londres, une ville où les choses vont très vite : les civilisés, gris de fatigue, sentent brusquement qu'ils ont nourri des jeunes barbares flamboyants. Les premières aventures d'Elric publiées en 1961, donnent la branle à une cascade de héros qui survolent les horreurs de la Terre avec un détachement cynique ; Sojan, Kane, Corum, Dorian Hawkmoon, Erekosé, Jerry Cornélius, Von Beck, Oswald Bastable, ont chacun leur monde crépusculaire, mais leur errance les conduit sur les routes du multivers où ils se rencontrent et comprennent qu'is son des incarnations d'un même et seul antihéros archétypal : le Champion Eternel, déstabilisé par la guerre sans merci de l'Ordre et du Chaos. Autre bataille : celle de Moorcock, à la tête de la revue New Worlds et des auteurs modernes (1964-1969), livre aux traditionnalistes. Quel jeu de jambes !