Le soir où Arthur Leander, en pleine interprétation du Roi Lear, meurt sur scène d’une crise cardiaque, une épidémie de grippe mortelle venue de Géorgie se répand mondialement. Au bout de quelques semaines, seule une personne sur mille a survécu, provoquant un effondrement presque total de la civilisation. Au centre de l’Amérique du nord, entre les États-Unis et le Canada, quelques petites communautés sont apparues, tentant de survivre tant bien que mal. L’une d’elle, la Symphonie, va de village en village, interprétant des pièces de Shakespeare et jouant du Beethoven.
Edité en Rivage Noir, le quatrième roman de Emily St-John Mandel aurait pu passer inaperçu du milieu SF s’il n’avait pas reçu le prix Arthur C. Clarke en 2015. La science-fiction, ce livre en est rempli : dans cet environnement post-apocalyptique des références régulières apparaissent : des épisodes de star trek, un modèle réduit de l’entreprise, un ouvrage de vampires et surtout un roman graphique écrit par l’une des protagonistes du roman y tient un rôle important. Ce roman graphique, lui-même nommé Station Eleven, raconte les aventures du Dr Eleven, coincé dans sa station spatiale grande comme une planète.
Mais Station Eleven est avant tout un roman consacré à des hommes et des femmes, à leur mémoire et à leurs oublis. Jouant de nombreuses coïncidences (une faiblesse que l’on pardonnera à l’auteure), les personnages que l’on croise sur cette terre vidée ont tous un lien avec Arthur Leander ; anciennes femmes, amis, acteurs ou spectateurs. Au récit de l’errance de la Symphonie se mêle de nombreux flash-backs amenant de la profondeur aux personnages, décrivant le monde avant, pendant et après la catastrophe. Et c’est là qu’Emily St John Mandel est très forte : en évitant les stéréotypes, en décrivant un monde difficile mais toujours humain, où l’on peut mourir en marchant sur un clou mais ou l’espoir d’une renaissance de l’humanité est toujours possible.
Ici, pas de désespérance totale comme dans La Route de McCarthy, pas non plus d’héroïsme beau et lumineux qui sauve le monde ; juste des hommes et des femmes, avec leurs forces et leur faiblesses, qui utilisent au mieux leur capacité de résilience, et qui traversent le roman dans de nombreuses scènes marquantes, comme le dernier soir d’Arthur Leander, vu par plusieurs personnages. Station Eleven est un récit remarquable et profondément humain qu’on lâche difficilement.